Les métiers de la communication visuelle sont en pleine mutation. En cause? La concurrence des agences de communication ou des illustrateurs en herbe. Mais il ne faut pas oublier l’existence de graphistes passionnés et établis depuis de longues années. C’est le cas de Michel Schnegg, entrepreneur dès la fin de son apprentissage d’électronicien à 21 ans. Sa passion pour le graphisme, il la doit à son père typographe. Elle l’a amené à ouvrir sa première structure en autodidacte. Après deux expériences entrepreneuriales, il est le directeur général de Schnegg Atelier depuis huit ans, une structure groupant cinq employés auxquels se joignent trois indépendants. Forcément, l’union fait la force dans une telle conjoncture.

 

En quoi consiste le métier de graphiste?
Notre travail consiste à créer des matériaux visuels pour les entreprises qui peuvent ensuite les utiliser sur tous les supports. C’est en quelque sorte la création de l’identité visuelle de l’entreprise. Mais le métier ne se réduit pas uniquement à de la création pour le papier. Les travaux sont très variés. Nous sommes autant amenés à travailler pour du design de sites internet que pour des éléments plus classiques de logo ou de papeterie. Nous développons de nouveaux concepts, comme des écrins pour les plaquettes de présentation d’entreprises. La plupart de nos travaux se font en étroite collaboration avec les clients. Nous créons également des applications tridimensionnelles, c’est-à-dire des travaux à afficher sur les bâtiments ou dans la rue. Nous devons donc prendre en considération les matériaux utilisés, les lieux et les espaces où le produit final sera affiché. Avec de tels projets, on se retrouve à changer de dimension, passant de quelques centimètres pour des magazines aux mètres pour des applications murales. Imaginer que de petites choses affichées à l’écran doivent pouvoir se voir à cent mètres redéfinit totalement la vision des proportions. Les écrans ne sont jamais calibrés correctement pour de telles réalisations!

Le secteur du graphisme a-t-il évolué?
Le métier a changé à bien des égards. Les supports se multipliant et les outils informatiques se développant, il y a une nécessité d’intégrer un maximum de techniques. Nous devons rester ouverts à tout ce qui est dans l’air du temps. Parfois à contrecœur, car avec internet, les gens ont accès à tout ce qui se fait et j’ai le sentiment que cela dévalorise notre travail. Le beau y côtoie le laid. Bien sûr, le monde change. Nous devons travailler différemment et nous ajuster constamment pour correspondre au mieux à l’actualité. Mais il y a aussi un grand travail de formation à faire auprès des gens. La surabondance d’image rend difficile de justifier les prix que nous pratiquons. Les clients ont souvent des attentes incompatibles avec les codes de bases du graphisme, parce qu’ils voient une telle quantité de choses sur le web qu’ils ne discernent plus le beau du laid. Ce constat est valable également dans la photographie. De plus, certaines entreprises en ligne proposent de réaliser des produits sans notion des codes de bases du graphisme. Voilà pourquoi le service doit être le centre de nos préoccupations. Il faut maintenant être capable d’expliquer ce que l’on fait et pourquoi on le fait. Je déplore également que le contact avec l’âme de l’entreprise, qui alimente l’envie de dessiner un produit qui lui ressemble, s’est perdu. À l’époque, nous étions davantage amenés à faire connaissance avec les clients.

Quelle importance accordez-vous à la formation?
Elle est essentielle. Je comprends néanmoins pourquoi peu de graphistes forment des apprentis. Il est difficile de se projeter sur le long terme avec un apprenti et l’irrégularité des flux de travail qui nous touche. Pour ma part, je forme depuis une dizaine d’année et je me suis rendu compte que cela m’obligeait à me remettre en question sur ce que je sais, ce que je fais et pourquoi je le fais. C’est un point positif de pouvoir intégrer l’évolution de la culture à travers les jeunes que l’on forme. Cet enrichissement réciproque permet d’avancer. Cela donne un sens à mon travail. Pouvoir accompagner les jeunes, les voir évoluer et ensuite quitter l’entreprise une fois leur papier obtenu est une sorte d’accomplissement.

Est-il difficile de recruter?
Il y a davantage de personnes qui cherchent du travail que de projets à réaliser. Pléthore de jeunes arrivent sur le marché! Mais je ne sais pas quelle voie ils vont emprunter: papier? numérique? Même s’il a le vent en poupe, j’ai le sentiment que même dans le numérique, il y a moins de travail que de jeunes arrivant sur le marché.

Qu’est-ce qui vous a motivé à recommencer l’expérience d’être patron à plusieurs reprises?
La première fois, c’était l’enthousiasme et la naïveté de la jeunesse. Ensuite, l’enthousiasme est resté, la naïveté moins (rires)! Même en sachant dans quoi on se lance, c’est une suite logique. Je garde ce même enthousiasme lorsque nous décrochons de nouveaux mandats. J’ai appris en quinze ans ce que j’aurais appris en quatre ans à la Haute Ecole de Commerce (HEC): la gestion financière, la gestion de client, le management, la délégation des tâches… Si cela était à refaire, je recommencerais. Je ne me verrais pas travailler différemment. Pour moi, c’est «entrepreneur pour toujours»!

Que diriez-vous à un jeune souhaitant ouvrir son entreprise de graphisme?
Qu’il faut se lancer! Il faut vivre de cet enthousiasme. Tellement de choses sont à envisager lorsque l’on lance son entreprise. Il faut bien s’entourer, notamment pour les aspects juridiques. Un point crucial est de ne jamais travailler seul, sinon on se flétrit. Il faut rester ouvert à toutes les occasions qui se présentent. Et il ne faut pas avoir peur de l’échec. L’avenir se situe dans des structures légères qui travaillent vite et qui ne coûtent pas trop cher au client. Difficile de deviner si l’on va se diriger vers un retour du papier ou s’il faut privilégier le numérique. Mais les graphistes existeront toujours. Le métier est si vaste. L’avenir? Être au service du client, pas au service du graphisme.

Avez-vous l’impression que votre métier est cannibalisé par les agences de communication ou d’autres acteurs du marché?
Oui, et c’est normal. Une des conséquences est qu’il y a moins de demande. Beaucoup d’imprimeurs ferment. Le type de projet limite cependant beaucoup ce genre de mélanges. Lorsqu’on réalise des catalogues multilingues, comme nous le faisons, par exemple, il faut une vraie structure de travail. Et peu d’entreprises ont encore ces compétences-là. En outre, la concurrence s’est renforcée à cause de l’arrivée de nouveaux supports, qui ont ensuite donné lieu à la venue de nouveaux acteurs. Avant, le papier dictait les codes du graphisme. Le numérique a pris le dessus avec l’image et l’animé. Les métiers se mélangent; les graphistes sont amenés à savoir davantage de choses venant de domaines différents. Ils vont essayer de se tenir à jour constamment, ce qui est très difficile, ou se spécialiser, ce que beaucoup de professionnels font.

Christophe Robert-Nicoud